L’ENFANT BLEU ET LE PRESSOIR DE GUENTRANGE
Le raisin attendait à être
pressé. Louis, jeune garnement du lieu avait pensé rendre service aux vignerons
de Guentrange. Il avait sauté dans le pressoir et avait voulu fouler le raisin,
à l’ancienne, comme il l’avait entendu raconter par son grand père le soir à la
veillée. Ce qu’il ne se doutait pas était que le pressoir vieux de plusieurs centaines
d’années gardait en mémoire le temps
passé et avait acquis une certaine idée de lui-même. Ainsi quand le gamin sauta
sur les grappes, les pieds pas très propres, il en fut vexé. Il lui fit perdre
l’équilibre et le gamin tomba de tout son long dans l’épais jus de raisin. Il fut
teinté de bleu et hurla en appelant au secours. Plusieurs mains calleuses de
vignerons hilares l’attrapèrent de le
sortirent de sa fâcheuse situation en lui faisant la leçon. De sa maison Edwige sa maman comprit
immédiatement la situation. Elle prit une cuvette et mena le gamin au lavoir du
village. Elle plongea sa grande éponge dans une belle eau claire, elle
s'apprêta à lui laver la figure et les mains. Louis, encore tout penaud des
reproches qu'il venait de s'attirer, s'était d'abord laissé faire sans
résistance. Mais quand il sentit l'eau
froide qui lui entrait dans le nez et dans les oreilles, il commença à rouspéter,
et se sauva à l'autre bout de la rue, en criant : « Oh ! C’est trop froid
! Je ne veux pas qu'on me mouille comme cela. Sa mère l'eut bientôt rattrapé,
et, en dépit de ses trépignements elle promena de nouveau l'éponge sur sa
figure. Mais le fatal esprit du pressoir entendit l’enfant et opérait déjà.
L'eau obéissait à ses ordres. Pour éviter de le mouiller, l’eau se jetait à
droite et à gauche hors de la cuvette, et se sauvait de l'éponge qui revenait
toujours à sec, si bien qu'il fallut y renoncer. La place était pleine d'eau,
et le visage du petit garçon, à moitié lavé, n'en avait plus reçu une goutte.
La pauvre mère, bien désolée, se jeta de guerre lasse sur un banc tout proche,
en secouant sa robe toute mouillée. « Allons, se dit telle,
peignons-le, au moins, il ne sera plus
tout à fait si sale ». Et disant cela, elle l'attira sur ses genoux, et se
mit à passer son beau peigne d'or dans les cheveux du petit garçon. Bientôt le
peigne rencontra une des brindilles autour de laquelle cinq ou six cheveux
s'étaient entortillés. « Oh ! Cela me fait mal, qu'on me laisse
tranquille avec ce peigne ! » Cria Louis. Le pressoir l’entendit et aussitôt
voilà les dents du peigne qui se couchent en arrière, et refusent d'entrer dans
les cheveux. Les vignerons se roulaient sur le sol de rire et parait-il
que même le pressoir craquait de tout son bois et grinçait dans ce qui
ressemblait à une moquerie. Louis resta tout bleu. La punition dura jusqu’à ce
que le vin fût mis en barrique. On peut encore voir ce pressoir à Guentrange, sous
la surveillance de Saint Urbain … mais il est conseillé de ne pas s’en
approcher …
Christian LUZERNE Conteur de
Légendes.
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